Colloque
Journées d'étude de l'ACIREph (12 et 13 mars 2021) : L'esprit critique peut-il
se passer de culture scientifique ?
L'Acireph (Association pour la Création d'Instituts de Recherche sur
l'Enseignement de la Philosophie) devait organiser des Journées d'études les 6 et 7
novembre 2020 à Paris. Elles sont remises à plus tard à cause du confinement. Vous
trouverez cependant ci-dessous la problématique, qui nous semble particulièrement
d'actualité.
Lors de la récente crise sanitaire, les scientifiques ont été spectaculairement
projetés sur le devant de la scène. On a vu à cette occasion la multiplication des
controverses, des expertises et des avis, chaque citoyen finissant par avoir le
sien.
Peut-on dire que ce fut un grand progrès pour la démocratie ? Assurément, si on
en juge par l'ampleur de la discussion publique : elle n'était plus seulement le
fait des experts, puisque des journalistes parlant au grand public, et parfois en son
nom, s'emparaient des questions de celui- ci. On estime en effet qu'une démocratie
fonctionne d'autant mieux que la participation des citoyens au débat public est la plus
large possible. Le principe de base étant : tout citoyen peut prendre la parole et
chacun compte pour un. Le tour souvent irrationnel des débats a toutefois jeté un doute
sur la nature de ce soudain engouement pour la science et sur la capacité du citoyen à
former une opinion éclairée sur des questions qui dépassent sa compétence. La puissance
des outils de communication et de diffusion de l'information semble avoir autant servi
la vérité que la fausseté.
Cette situation exceptionnelle nous offre une occasion de travailler avec les élèves
des problèmes philosophiques directement en prise avec leur expérience concernant les
rapports de la science (nouvelle notion au programme de Terminale
générale) et de la démocratie, du rôle de la vérité
et de la raison dans le débat public et les décisions
de l'État, des techniques de persuasion et d'information dans
une société. Elle invite également à réfléchir à la nature, à la place et au rôle de la
culture scientifique dans la formation des élèves et des enseignants.
I/ Le problème de la compétence du public
1) Juger des questions d'expertise : compétence ou incompétence du
public ?
Par définition, le citoyen (ou son représentant) est incompétent. Mais la décision lui
appartient. Comment faire pour qu'elle ne soit pas irrationnelle ? Est-il
raisonnable de demander à des assemblées de citoyens, par définition composées de gens
incompétents, de rendre un avis sur des décisions importantes ? L'objection
platonicienne contre la démocratie ressurgit : c'est l'argument de l'incompétence
du public.
Mais que vaut-il ? Sommes-nous condamnés au gouvernement des experts ? Ou
peut-on penser autrement la vie démocratique ? Est-ce utopique d'imaginer des
assemblées de citoyens auditionnant des experts, les obligeant à vulgariser leurs idées
de façon à être entendus ? Est-ce aux citoyens d'avoir la compétence de l'expert,
ou à l'expert d'avoir la compétence de se faire comprendre et de partager son
savoir ? Et aux citoyens, la compétence de juger la valeur respective des discours
d'experts ?
2) Juger par soi-même ou savoir qui croire ?
Selon ses programmes, l'enseignement philosophique a pour but de former le
jugement critique. Il développe notamment l'aptitude à démasquer
les faux savoirs, à évaluer la pertinence des discours de spécialistes et
de l'opinion courante dès lors qu'ils interviennent dans des questions générales d'ordre
moral ou politique. Cet idéal philosophique n'est-il pas exagérément présomptueux ou
naïf ? Les leçons déjà définitives données au public par des philosophes patentés
sur la crise du covid-19 sont-elles des modèles de lucidité critique ? Dit
autrement, plutôt que de tout vouloir "juger et penser par soi-même", le problème
n'est-il pas plutôt de savoir à quelle(s) autorité(s) se fier ?
Est-il irrationnel de croire sur la base d'une autorité ? N'est-ce pas
ainsi que les élèves apprennent l'essentiel de ce qu'ils savent ? Dès lors, la
question serait plutôt : comment distinguer (et apprendre aux élèves à distinguer)
une autorité fiable d'une autorité douteuse quand il s'agit de connaissance ?
Quelles procédures utiliser pour vérifier la fiabilité d'une autorité, d'une
source ? Quelles compétences sont en jeu dans la sélection des sources selon leur
fiabilité ?
II/ Le problème des rapports entre raison, science et démocratie
La démocratie suppose-t-elle l'éducation scientifique du citoyen ?
L'inculture scientifique est- elle un danger pour une démocratie ? La
science a-t-elle une valeur éducative ? Peut-elle contribuer à la formation du sens
social et politique des citoyens ?
Les connaissances scientifiques sont en effet au coeur de nombreuses décisions
politiques. Qu'en est-il du réchauffement climatique ? Est-il vrai que les
néonicotinoïdes sont responsables de la disparition des abeilles ? Etc. Les
enquêtes Europeans, Science and Technology sur le niveau de
culture scientifique des citoyens européens ne sont pas rassurantes : 29 % des
Européens pensent qu'il est vrai que la terre tourne autour du soleil ; 29 %
pensent que les électrons sont plus gros que les atomes et 25 % ne savent
pas ; 20 % des Européens pensent que les gènes de la mère déterminent le sexe
de l'enfant et 16 % déclarent n'en rien savoir ; 43% pensent que les
antibiotiques tuent les virus comme les bactéries et 11 % ne savent pas ; 27%
pensent qu'il n'y a pas de radioactivité naturelle et 14 % ne savent pas, etc.
Enfin l'astrologie est une science pour 41 % des Européens, et l'histoire seulement
pour 34 %.
La culture scientifique des citoyens dans une démocratie, ce problème philosophique
contemporain, ne devrait-il pas être une pièce maîtresse de la formation de tous les
élèves ?
III/ Parole, argumentation et démocratie
En démocratie, parce que le citoyen exerce sa souveraineté en participant à la
délibération et à la prise de décision publiques, chacun a un droit égal à la parole et
un égal temps de parole. Mais certains savent manifestement s'en servir mieux que
d'autres, car cet exercice dépend de la capacité à exprimer ses idées, à les défendre, à
prendre en compte les objections, la diversité des points de vue, etc. Or, moins d'un
tiers des Français se déclare capable de s'exprimer en public.
Cette question concerne le fond car ce qui est en jeu est la capacité, dans le débat
public, à argumenter rationnellement, à évaluer une argumentation, à juger de la force
et de la pertinence d'un argument, à éviter les sophismes, la capacité à se former une
opinion protégée de l'influence, à l'abri de l'emprise ou des manipulations
Ce problème questionne l'enseignement donné aux élèves : quelles pratiques
permettent de former et d'exercer ces compétences ? Peut-on les intégrer au
traitement d'une question philosophique ? Sous quelle forme ?
IV/ Le problème du genre de culture scientifique nécessaire en
démocratie
La tournure irrationnelle des débats, la propagation si facile des fake-news ou d'une
information non maîtrisée, la méfiance excessive envers la science ou au contraire une
crédulité devant le premier expert venu, éventuellement auto-proclamé, etc., tout cela
vient-il principalement :
- de ce que les citoyens ne connaissent pas assez ses résultats ? Quelle
quantité de connaissances serait nécessaire et dans quel domaine, pour que le
citoyen soit jugé suffisamment compétent et à l'abri de faux jugements ?
- de ce que les citoyens ne connaissent pas la manière dont s'élabore la
connaissance scientifique ? Le profit principal que le citoyen devrait retirer
d'un enseignement scientifique est-il dans l'acquisition d'une certaine somme de
résultats ou dans la compréhension et l'initiation à sa méthode ? Ce qui pose
aussi la question de la place de l'enseignement de l'histoire des sciences tant dans
l'enseignement que dans la formation des professeurs. L'enseignement des
controverses scientifiques peut-elle avoir ici une valeur éducative ?
V/ Le problème de la vulgarisation scientifique
L'objectif de rendre tout le monde "savant" serait assurément insensé. Mieux, choisir
de ne pas s'intéresser aux sciences est parfaitement légitime, quand bien même ce serait
jugé regrettable et potentiellement dangereux. Mais s'il est vrai que la culture
scientifique est nécessaire pour la démocratie ou une formation complète de l'être
humain, comment rapprocher la science du public profane ?
Si la vulgarisation scientifique ne cherche évidemment pas à proposer une
compréhension technique complète et exacte du contenu et des résultats d'une science à
un moment donné, comment peut-elle néanmoins en tirer une sorte de connaissance commune
de la science faite et se faisant ? Commune, c'est-à-dire en faire un bien commun,
partageable et partagé ; et commune, accessible au sens commun, à la différence des
connaissance spéciales réservées aux experts.
Comment communiquer la culture scientifique au citoyen ? Quels
sont les obstacles et difficultés ? Comment les surmonter ? Quelles
compétences cela suppose-t-il (y compris rhétoriques ou communicationnelles) ?
Est-il possible, sans trahir le propos scientifique, de présenter les choses dans une
forme suffisamment concrète, attractive et stimulante ? De faire saisir les
perspectives nouvelles qu'un travail apporte à de grandes questions ?
ANNEXE : PROGRAMME DES JOURNÉES D'ÉTUDE
Vendredi 12 mars 2021
9H - Accueil des participants et présentation des journées
10H - 12H - Conférence-débat : Amy DAHAN, historienne des sciences (CNRS) :
La question climatique entre sciences, expertise et politique.
14H - 16H - ATELIERS au choix animés par des collègues (programme en cours
d'élaboration)
16H30 - 18H - Bilan et perspectives : et dans nos classes ?
Samedi 13 mars 2021
10H - 12H - Conférence-débat : Dominique LARROUY, maître de conférences
(INSERM) : L'enseignement des sciences permet-il vraiment d'éduquer l'esprit
critique des élèves ?
14H - 16H - ATELIERS au choix animés par des collègues (programme en cours
d'élaboration)
16H30 - 18H - Réforme du lycée et actualité de la profession
Retrouvez le programme sur ACIREPH : L'esprit critique
peut-il se passer de culture scientifique ? JOURNÉES D'ÉTUDE 12-13
MARS 2021
Plus d'informations & inscription en ligne sur : acireph.org
Diotime, n°87 (01/2021)